Kyuden Ikoma - Onze ans auparavant
- Raconte-moi ton histoire, petite fille.
Ansha releva le menton et s'abstint de fixer l'homme en face d'elle. Elle porta le regard à droite, puis à gauche du sage akodo. Assis en tailleur, il portait une toge ocre jaune à biais marron du Lion... Il semblait aussi amical qu'un vieil akami de la montagne chavirante.
Un long soupir précéda ses premiers mots et ses yeux s'embuèrent.
- Je m'appelle Ansha Shamkat. Nous venons des terres plus au sud, au-delà des frontières du Rokugan. J'ai trois frères et deux soeurs plus âgés. Maman et Papa travaillent pour le seigneur.
Elle hasarda un regard vers son interlocuteur qui lui fit un signe de tête. C'était bien de cela qu'il fallait parler. Ses traits se détendirent et sa voix reprit de l'assurance.
- Un matin, j'étais seule à la maison. Je suis la plus petite... Il y a eu du bruit dans la cour. J'avais peur pour les poules mais je ne savais pas si je devais aller voir. J'ai dû y aller, je ne me souviens pas bien. Il y avait un homme très grand, son visage et son bras étaient rouges, plein de sang... Il est tombé à terre. Maman m'a appris à soigner les taureaux lorsqu'ils se blessent entre eux. J'ai fait pareil.
Le vieil akodo observait la fillette, le timbre de sa voix était agréable, elle était encore jeune mais elle savait respecter les étapes d'une histoire. Un instant, son visage se ferma à nouveau et il put y lire l'angoisse d'une enfant perdue et résignée. Si elle était -là, semblait-elle penser, c'était la faute de cet homme. Jamais elle n'avait demandé à quitter Salba et Ekon, ses deux frères préférés. Au bord des larmes mais se mordant la lèvre, elle se redressa avec orgueil.
Le vieil akodo esquissa un sourire. Il toucha le genou de la fillette avec une règle de bambou et elle sortit de ses pensées amères.
- L'homme est resté plusieurs semaines à la maison. Beaucoup de choses ont été apportées du château et papa et maman prenaient soin de lui. Il semblait gentil... jusqu'à ce qu'il décide de m'envoyer ici, acheva-t-elle en murmurant comme pour elle-même.
- Le seigneur Matsu Ai Suru Karasu est effectivement intervenu pour que tu sois accueillie à l'école des bardes Ikoma. Il a fait de toi sa fille adoptive, tu n'es plus une simple heimin… Matsu Ansha -Gozen est maintenant ton véritable nom.
Le petit visage se redressa avec colère.
- Ne le vis pas comme une punition, Ansah-Gozen. C'est un grand honneur que le seigneur Matsu t'a fait. Tu lui as sauvé la vie et en retour , il sauve la tienne. Un grand avenir s'ouvre à toi, Ansha... Ne laisse pas la colère t'aveugler. Ta famille et tes frères ne sont pas perdus pour toi... Un jour, tu les reverras. Il te faut suivre maintenant l'enseignement des trois perfections, c'est le monde qu'on t'offre , Ansha. Comprends-tu ?
Matsu Ansha-Gozen se mordit les lèvres. Le vieil homme attendait.
- Je ne sais pas ce que c'est... dit-elle, honteuse.
Le maître releva le menton de son élève à l'aide de la règle fine de bambou afin qu'elle put fixer le regard bienveillant du sage Akodo. Ses yeux gris plein de malice se firent un instant plus perçants.
- La peinture, la poésie, la calligraphie… Un peu plus et un peu moins que le Monde tient dans les trois perfections, Ansha. C'est là ce que tu apprendras jusqu'à ta quatorzième année.
Les yeux verts le fixèrent plus intensément.
-Ensuite, si tu t'en montres digne, le Seigneur Matsu viendra te chercher...